1. Le champ de distorsion de la réalité (reality distortion field) désigne cette capacité dont disposent certaines personnes, à neutraliser comme par enchantement, nos doutes et appréhensions quant aux efforts surhumains que nous devrions fournir pour atteindre des objectifs… inatteignables. On s’en doute, ce “super-pouvoir” est particulièrement prisé par les entrepreneurs de la tech, en mal de techniques de motivation et de management.
2. Sans surprise, cette expression a été spécialement conçue pour Steve Jobs (who else ?). Dès 1981, l’un des tous premiers employés d’Apple – Bud Tribble – l’utilise pour décrire l’effet des discours de Jobs sur les personnes qu’il côtoie. Selon Tribble, l’expression viendrait de la série Star Trek, et plus particulièrement de l’épisode La ménagerie où des extra-terrestres s’emparent de l’esprit des héros, par simple force mentale
3. Recette, maestro ! Pour créer un champ de distorsion de la réalité (CDR), il faut :
- Disposer d’une immense dose de confiance en soi, de l’intelligence à revendre, voire d’un peu de narcissisme.
- Oser imaginer des objectifs hors du commun, à la limite du possible.
- Savoir rendre ces objectifs réalistes grâce à une logique implacable.
Lorsque ces trois ingrédients sont combinés, il y a de fortes chances pour que votre auditoire vous croie, quels que soient les efforts demandés. Bravo ! Vous avez réussi à activer un champ de distorsion de la réalité.
4. L’enjeu est ici de savoir comment se prémunir face à ce phénomène ou, en d’autres termes, comment ne pas se faire avoir par un beau parleur… Si le CDR concerne un domaine que vous ne maîtrisez pas, relisez seul, à tête reposée, le texte du discours qui vous a subjugué : en effet, le CDR ne s’exerce qu’en présence de son émetteur (orateur). Si le CDR s’exerce dans votre domaine de compétence, adoptez l’attitude de Bill Gates : “Je n’étais qu’un petit magicien, comparé à lui, cet immense magicien que je voyais hypnotiser les gens. Mais, étant moi-même magicien, ses sorts n’ont jamais fonctionné sur moi.” Merci, Bill !
5. Le champ de distorsion de la réalité n’a pas que des bons ni des mauvais côtés :
- Avec le CDR, les équipes se dépassent pour réaliser des prouesses que beaucoup jugeaient impossibles. Encore une fois, Apple peut servir d’exemple.
- Mais le CDR peut aussi conduire à un environnement de travail toxique, fait de manipulation et de pression permanente, voire de mensonges. N’est pas Steve Jobs qui veut…
6. La différence entre visionnaire et arnaqueur est parfois ténue. Dernier exemple en date : Sam Bankman-Fried, le fondateur de FTX, la plateforme d’échanges de crypto-monnaies à la faillite retentissante. Selon lui, FTX avait pour vocation d’aller “au-delà de la monnaie” et de générer des dollars de façon infinie (infinity dollars), ce qui permettrait de résoudre les grands problèmes mondiaux : les guerres nucléaires, les pandémies… Rien que ça ! Finalement, loin de l’infini, ses clients, victimes de son CDR, ont vu leurs dollars s’évanouir comme dans un mirage.
7. Si le CDR nous fascine tant, c’est que nous avons finalement peu l’occasion d’y être confrontés puisque l’indifférence règne en maître dans les entreprises… Malgré ces éventuelles dérives, le CDR reste un remède efficace pour lutter contre l’inaction et viser des objectifs ambitieux.
La leçon à tirer
Vers l’infini et au-delà !
Pour aller plus loin
- Les Stevenotes, les fameux discours de Steve Jobs
- Le livre de Michael Lewis sur Sam Bankman-Fried et FTX : “Going infinite”
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