Par Octave Marti
Aux abords des métropoles de Séoul et d’Incheon, la province sud-coréenne de Gyeonggi a implémenté un programme inédit de revenu universel à grande échelle.
1Gyeonggi, poumon économique de la Corée
Représentant un cinquième de la population sud-coréenne, la province de Gyeonggi accueille les sièges sociaux et usines de Samsung, Hyundai, LG et Naver (le “Google coréen”) et représente 25 % du PIB national coréen.
2La pandémie mondiale, une occasion pour innover
Pour stimuler son économie en pleine pandémie, Gyeonggi a mis en place un programme expérimental de revenu universel touchant 200 000 habitants initialement. Ces derniers reçoivent de la région l’équivalent de 220 dollars chaque trimestre, qu’ils soient salariés, indépendants ou inactifs. Le principe est simple : “no questions asked”.
3Stimuler l’économie locale de manière contrôlée
Si le “Paycheck Protection Program” des Etats-Unis a déjà mobilisé des milliards pour venir en aide aux entreprises et citoyens américains pendant la pandémie, ses résultats semblent peu concluants. D’après le New York Times, peu d’emplois auraient réellement été sauvés, peu d’entreprises aidées, et pire : les “paychecks” auraient surtout relancé la production chinoise.
A l’inverse, Gyeonggi Pay n’utilise ni dollars, ni wons (la devise sud-coréenne), et a mis en place une devise locale et digitale fonctionnant en circuit fermé. Ainsi, ces revenus ne peuvent être dépensés que dans les petits commerces de la province de Gyeonggi via une application spécialement conçue en partenariat avec Samsung.
4Des résultats prometteurs
Si le programme ne concernait à l’origine qu’un échantillon de la province, il a depuis été élargi à l’ensemble de ses 13 millions d’habitants dont ses nouveaux-nés.
Effets directs : les small businesses ayant rejoint Gyeonggi Pay auraient vu leurs ventes augmenter de 45 % après l’élargissement du programme à l’ensemble de la province. Les étudiants ont également pu réinvestir leur temps et leur énergie dans leurs études plutôt que dans des emplois peu qualifiés. Plus généralement, les ménages les plus précaires ont pu disposer d’un pouvoir d’achat plus important.
5Des motivations politiques ?
Des inquiétudes émergent sur le fonctionnement même de Gyeonggi Pay. En effet, les données de chaque transaction sont reçues et analysées par le gouvernement régional de Gyeonggi, afin d’étudier l’utilisation et les effets de Gyeonggi Pay.
Se posent alors des questions sur le traitement des données privées par le gouvernement. Si les autorités affirment que les citoyens consentent au recueil agrégé de leurs données lorsqu’ils s’inscrivent au programme, certains soulignent que des hackers ou des officiels malintentionnés pourraient récupérer et utiliser ces données à des fins politiques.
6Vers une application nationale ?
En vue du succès de Gyeonggi Pay, l’idée d’en faire un programme national émerge. Dans les prochaines années, la Corée aura à surmonter un problème de taille au-delà du Covid : l’automatisation massive de son activité. En effet, 15 % des emplois actuels en Corée devraient être automatisés d’ici trois ans. Or 27 % des actifs sud-coréens âgés de 15 à 29 ans seraient déjà sans emploi ou sous-employés.
Jae-Myung Lee, le gouverneur de Gyeonggi, utilise le succès de Gyeonggi Pay pour sa campagne électorale en vue des élections présidentielles de 2022 et a proposé de créer un revenu universel d’environ 430 dollars annuels (mensuels à terme) s’appliquant à l’ensemble des Sud-coréens afin de préparer la disparition des emplois automatisables. 50 % des Coréens soutiendraient cette idée et Lee se place actuellement en tête des sondages.
Un tel revenu annuel devrait coûter 21,3 milliards de dollars par an à la Corée et peut être envisageable si des ajustements budgétaires sont faits. Cependant, un revenu mensuel de 430 dollars coûterait 260 milliards de dollars par an à Séoul, soit plus de la moitié du budget national actuel.
Quoiqu’il en soit, garantir de nouvelles sources de revenu d’une manière ou d’une autre va se montrer absolument nécessaire pour les autorités sud-coréennes dans les années à venir.
7La Corée comme innovateur économique
Malgré ces bémols, l’expérience de Gyeonggi Pay révèle deux points : qu’un programme de revenu universel peut se montrer efficace et populaire, et que la Corée du Sud s’affirme de plus en plus comme l’un des leaders de l’innovation en modèle économique.
Pendant la pandémie, d’autres aides et stimuli ont complété Gyeonggi Pay. Une réforme du programme devrait aider davantage les travailleurs les plus précaires. La province de Gyeonggi compte également créer un système de bons gratuits pour les protections périodiques pour ses adolescentes.
Enfin, le président coréen, Jae-In Moon, a fait la promotion à Davos de son projet anti-inégalités, fondé sur la redistribution des profits entre les entreprises ayant prospéré et celles ayant pâti pendant la pandémie, et a invité ses homologues à le suivre.
La leçon à retenir
L’arrivée de nouveaux challenges sans précédents implique nécessairement de modifier ses modèles, mais offre surtout des opportunités de le faire de manière intelligente et aussi proactivement que possible, en innovant.
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