1Le piège des coûts irrécupérables (sunk cost fallacy) désigne notre réticence à abandonner un projet, un bien, un service, dans lequel nous avons déjà investi de l’argent. Deux indices pour le reconnaître :
- Les coûts sont déjà payés et ne sont pas récupérables.
- Nous serions objectivement bénéficiaires si nous abandonnions ce projet.
2Identifié dès 1980 par Richard Thaler, prix Nobel d’économie, ce biais peut être résumé par cette formule : nous avons du mal à renoncer si nous avons déjà payé. Les psychologues Hal Arkes et Catherine Blumer ont élargi ce concept à d’autres “coûts” tels que le temps ou l’effort.
The sunk cost effect is manifested in a greater tendency to continue an endeavor once an investment in money, effort, or time has been made.
Hal Arkes et Catherine Blumer
3Quelques exemples tirés de nos vies quotidiennes :
- Si un spectateur s’ennuie devant un mauvais film, il restera jusqu’au bout s’il a payé sa place (pour ne pas “gâcher”) mais n’hésitera pas à s’éclipser s’il a été invité.
- Vous avez payé pour une place de spectacle. Juste avant la représentation, un ami vous propose de vous donner une place pour un autre spectacle… que vous préférez. Pourtant, il y a de fortes chances pour que vous refusiez son offre car vous ne voulez pas “gâcher” l’argent que vous avez déjà dépensé, même si objectivement, vous auriez passé une bien meilleure soirée, pour exactement le même prix.
- Vous continuez à faire des travaux dans votre maison, même s’il serait moins cher d’en acheter une nouvelle. Toujours la même raison : ne pas gâcher l’argent déjà investi que, de toute façon, on ne reverra jamais !
4Le piège des coûts irrécupérables s’applique à des décisions à bien plus fort impact. Un exemple bien connu : dès 1973, il était clair que le Concorde était voué à l’échec (choc pétrolier, difficultés croissantes des compagnies aériennes, échec commercial aux Etats-Unis). Pourtant, les gouvernements français et britannique se sont entêtés à poursuivre sa commercialisation jusqu’en octobre 2003, engouffrant ainsi des centaines de millions d’euros.
5Le piège des coûts irrécupérables nous démontre que nous pouvons être de piètres décideurs, nos émotions pouvant guider nos choix contre nos propres intérêts. Après avoir fait un choix, nous développons un fort sentiment de culpabilité si nous ne persévérons pas. Nous privilégions donc les coûts passés (et engloutis) et non les bénéfices futurs, les seuls qui rationnellement devraient compter.
6Comment éviter ce piège ? La solution la plus simple est de ne prendre en compte que les pertes et les gains à venir, en ignorant délibérément le passé. Une bonne méthode – classique mais efficace – est l’éternelle liste des plus et des moins, qui permet de mettre de côté les émotions. Pour les projets plus conséquents, il peut être intéressant d’utiliser des outils d’aide à la décision.
7Eh oui, nous pouvons aller à l’encontre de nos intérêts, sans même nous en apercevoir. Dans le meilleur des cas, nous nous en tirons avec quelques heures d’ennui ou un peu d’argent perdu. Dans les cas extrêmes, nous pouvons aller jusqu’à nous mettre en danger.
La leçon à retenir
Les émotions, c’est bien mais ça peut coûter cher !
Pour aller plus loin
- Concorde : les chiffres d’un avion d’exception, Le Parisien
- The psychology of sunk cost – Catherine Blumer et Ark Hales
Cet article vous a plu ? N’hésitez pas à le faire suivre à vos amis… Vous pouvez aussi vous abonner à notre Newsletter pour recevoir nos articles directement dans votre boîte mail chaque vendredi.